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A travers le monde, ces accusations mensongères ont constitué l’argument principal de tous les va-t-en-guerre.

27 Février 2022 , Rédigé par michelle

Le Monde Diplomatique 2003

C'est l’histoire du voleur qui crie : « Au voleur ! » Comment pensez-vous que M. George W. Bush intitula le célèbre rapport d’accusation contre M. Saddam Hussein qu’il présenta le 12 septembre 2002 devant le Conseil de sécurité de l’ONU ? « Une décennie de mensonges et de défis » (1). Et qu’y affirmait-il en égrenant des « preuves » ? Un chapelet de mensonges ! L’Irak, disait-il en substance, entretient des liens étroits avec le réseau terroriste Al-Qaida et menace la sécurité des Etats-Unis parce qu’il possède des « armes de destruction massive » (ADM) — une expression terrifiante forgée par ses conseillers en communication.

Trois mois après la victoire des forces américaines (et de leurs supplétifs britanniques) en Mésopotamie, nous savons que ces affirmations, dont nous avions mis en doute le bien-fondé (2), étaient fausses. Il est de plus en plus évident que l’administration américaine a manipulé les renseignements sur les ADM. L’équipe de 1 400 inspecteurs de l’Iraq Survey Group que dirige le général Dayton n’a toujours pas trouvé l’ombre du début d’une preuve. Et nous commençons à découvrir que, au moment même où M. Bush lançait de telles accusations, il avait déjà reçu des rapports de ses services d’intelligence démontrant que tout cela était faux (3). Selon Mme Jane Harman, représentante démocrate de Californie, nous serions en présence de « la plus grande manœuvre d’intoxication de tous les temps (4)  ». Pour la première fois de son histoire, l’Amérique s’interroge sur les vraies raisons d’une guerre, alors que le conflit est terminé…

Dans cette gigantesque manipulation, une officine secrète au sein du Pentagone, le Bureau des plans spéciaux (Office of Special Plans, OSP) a joué un rôle venimeux. Révélé par M. Seymour M. Hersh, dans un article publié par le New Yorker (5), le 6 mai 2003, l’OSP a été créé après le 11 septembre 2001 par M. Paul Wolfowitz, le numéro deux du département de la défense. Dirigé par un « faucon » convaincu, M. Abram Shulsky, ce Bureau a pour mission de trier les données recueillies par les différentes agences de renseignement (CIA, DIA, NSA), afin d’établir des synthèses et les remettre au gouvernement. Se fondant sur des témoignages d’exilés proches du Congrès national irakien (organisation financée par le Pentagone) et de son président, le très contestable Ahmed Chalabi, l’OSP a énormément gonflé la menace des armes de destruction massive ainsi que les liens entre M. Saddam Hussein et Al-Qaida.

Scandalisé par ces manipulations, et s’exprimant sous le nom de Veteran Intelligence Professionals for Sanity, un groupe anonyme d’anciens experts de la CIA et du département d’Etat a affirmé le 29 mai, dans un mémorandum adressé au président Bush, que dans le passé des renseignements avaient « déjà été faussés pour des raisons politiques, mais jamais de façon aussi systématique pour tromper nos représentants élus afin d’autoriser une guerre (6) ».

M. Colin Powell a été lui-même manipulé. Et joue désormais son avenir politique. Il aurait résisté aux pressions de la Maison Blanche et du Pentagone pour diffuser les informations les plus contestables. Avant son fameux discours du 5 février 2003 devant le Conseil de sécurité, M. Powell a tenu à lire le brouillon préparé par M. Lewis Libby, directeur du cabinet du vice-président Richard Cheney. Il contenait des informations tellement douteuses que M. Powell aurait piqué une colère, jeté les feuilles en l’air et déclaré : « Je ne vais pas lire cela. C’est de la m… (7). » Finalement, le secrétaire d’Etat exigera que M. George Tenet, le directeur de la CIA, soit assis bien en vue derrière lui, le 5 février, et partage la responsabilité de ce qui fut dit.

Dans un entretien au magazine Vanity Fair, publié le 30 mai, M. Wolfowitz a reconnu le mensonge d’Etat. Il a avoué que la décision de mettre en avant la menace des ADM pour justifier une guerre préventive contre l’Irak avait été adoptée « pour des raisons bureaucratiques ». « Nous nous sommes entendus sur un point, a-t-il précisé, les armes de destruction massive, parce que c’était le seul argument sur lequel tout le monde pouvait tomber d’accord (8). »   

Le président des Etats-Unis a donc menti. Cherchant désespérément un casus belli pour contourner l’ONU et rallier à son projet de conquête de l’Irak quelques complices (Royaume-Uni, Espagne), M. Bush n’a pas hésité à fabriquer l’un des plus grands mensonges d’Etat.

Il n’a pas été le seul. Devant la Chambre des communes à Londres, le 24 septembre 2002, son allié Anthony Blair, premier ministre britannique, affirmait : « L’Irak possède des armes chimiques et biologiques. (…) Ses missiles peuvent être déployés en 45 minutes. » De son côté, dans son intervention devant le Conseil de sécurité, M. Powell déclarait : « Saddam Hussein a entrepris des recherches sur des douzaines d’agents biologiques provoquant des maladies telles que la gangrène gazeuse, la peste, le typhus, le choléra, la variole et la fièvre hémorragique. » « Nous croyons que Saddam Hussein a, en fait, reconstitué des armes nucléaires », soutenait enfin le vice-président Cheney en mars 2003 à la veille de la guerre (9).

Au cours d’innombrables déclarations, le président Bush a martelé les mêmes accusations. Dans un discours radiodiffusé à la nation, le 8 février 2003, il allait jusqu’à apporter les faux détails suivants : « L’Irak a envoyé des experts en explosifs et en fabrication de faux papiers travailler avec Al-Qaida. Il a aussi dispensé à Al-Qaida un entraînement aux armes biologiques et chimiques. Un agent d’Al-Qaida a été envoyé en Irak à plusieurs reprises à la fin des années 1990 pour aider Bagdad à acquérir des poisons et des gaz. »

Reprises et amplifiées par les grands médias bellicistes transformés en organes de propagande, toutes ces dénonciations ont été répétées ad nauseam par les réseaux de télévision Fox News, CNN et MSNC, la chaîne de radio Clear Channel (1 225 stations aux Etats-Unis) et même des journaux prestigieux comme le Washington Post ou le Wall Street Journal. A travers le monde, ces accusations mensongères ont constitué l’argument principal de tous les va-t-en-guerre. En France, par exemple, elles furent reprises sans vergogne par des personnalités comme Pierre Lelouche, Bernard Kouchner, Yves Roucaute, Pascal Bruckner, Guy Millière, André Glucksmann, Alain Finkielkraut, Pierre Rigoulot, etc. (10).

Les accusations furent également répétées par tous les alliés de M. Bush. A commencer par le plus zélé d’entre eux, M. José Maria Aznar, président du gouvernement espagnol, qui, aux Cortés de Madrid, le 5 février 2003, certifiait : « Nous savons tous que Saddam Hussein possède des armes de destruction massive. (…) Nous savons tous également qu’il détient des armes chimiques (11). » Quelques jours auparavant, le 30 janvier, exécutant une commande formulée par M. Bush, M. Aznar avait rédigé une déclaration de soutien aux Etats-Unis, la « Lettre des Huit », signée entre autres par MM. Blair, Silvio Berlusconi et Vaclav Havel. Ils y affirmaient que « le régime irakien et ses armes de destruction massive représentent une menace pour la sécurité mondiale ».

Ainsi, pendant plus de six mois, pour justifier une guerre préventive dont ni les Nations unies ni l’opinion mondiale ne voulaient, une véritable machine de propagande et d’intoxication pilotée par la secte doctrinaire qui entoure M. Bush a répandu des mensonges d’Etat avec une outrecuidance propre aux régimes les plus détestés du XXe siècle.

Ils s’inscrivent dans une longue tradition de mensonges d’Etat qui jalonne l’histoire des Etats-Unis. L’un des plus cyniques concerne la destruction du cuirassé américain Maine dans la baie de La Havane en 1898, qui servit de prétexte à l’entrée en guerre des Etats-Unis contre l’Espagne et à l’annexion de Cuba, Porto Rico, les Philippines et l’île de Guam.

Le soir du 15 février 1898, vers 21 h 40, le Maine fut en effet victime d’une violente explosion. Le navire sombra dans la rade de La Havane et 260 hommes périrent. Immédiatement, la presse populaire accusa les Espagnols d’avoir placé une mine sous la coque du navire et dénonça leur barbarie, leurs « camps de la mort » et même leur pratique de l’anthropophagie…

Deux patrons de presse allaient rivaliser dans la recherche du sensationnel : Joseph Pulitzer, du World, et surtout William Randolph Hearst, du New York Journal. Cette campagne reçut le soutien intéressé des hommes d’affaires américains qui avaient beaucoup investi à Cuba et rêvaient d’en évincer l’Espagne. Mais le public ne manifestait guère d’intérêt. Les journalistes non plus d’ailleurs. En janvier 1898, le dessinateur du New York Journal, Frederick Remington, écrivit de La Havane à son patron : « Il n’y a pas de guerre ici, je demande à être rappelé. » Hearst lui câbla en réponse : « Restez. Fournissez les dessins, je vous fournis la guerre. » Survint alors l’explosion du Maine. Hearst monta une violente campagne comme on le voit dans Citizen Kane, le film d’Orson Welles (1941).

Pendant plusieurs semaines, jour après jour, il consacra plusieurs pages de ses journaux à l’affaire du Maine et réclama vengeance en répétant inlassablement : « Remember the Maine ! In Hell with Spain » (Souvenez-vous du Maine ! En enfer l’Espagne !). Tous les autres journaux suivirent. La diffusion du New York Journal passa d’abord de 30 000 exemplaires à 400 000, puis franchit régulièrement le million d’exemplaires ! L’opinion publique était chauffée à blanc. L’atmosphère devint hallucinante. Pressé de partout, le président William McKinley déclara la guerre à Madrid le 25 avril 1898. Treize ans plus tard, en 1911, une commission d’enquête sur la destruction du Maine devait conclure à une explosion accidentelle dans la salle des machines (12)

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